« La Zone d’Intérêt » – Le déni de l’horreur nazi

La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer - Affiche Film Cinéphilion (2)

4/5


Synopsis

Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve. Ils s’installant avec leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Critique

« La Zone d’Intérêt » n’est autre que le terme administratif utilisé par les nazis pour décrire l’étendue de 40 km² qui entourait le camp de concentration d’Auschwitz. Récompensé par le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2023, ce film soulève une réflexion profonde sur la façon novatrice de traiter la Shoah sur grand écran.

La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer - Le cadre idyllique et déconcertant d'une famille ordinaire

Au cœur du foyer familial

« La Zone d’Intérêt » relate le quotidien familial d’un haut responsable nazi rattaché au camp d’Auschwitz en pleine Seconde Guerre Mondiale. Avec une grande maison, un jardin, un potager, une piscine et même des vignes, le réalisateur nous invite au cœur de son foyer, auprès de sa femme et de ses enfants.

Ce logement de fonction se trouve à seulement quelques mètres du mur d’enceinte du camp de concentration, qui gronde en arrière-plan.

La technique de tournage adoptée, peu conventionnelle au cinéma, rappelle celle d’une émission de télé-réalité d’enfermement, type Secret Story ou le Loft. Tout est capturé à travers des plans fixes et des angles larges.

La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer - Maison, piscine, fleurs, vignes et potager à quelques mètres du camp d'Auschwitz - Cinéphilion

L’horreur sans la voir

De ce fait, le son est décuplée. Les aboiements de chiens, les hurlements, les ordres en allemand, vivre l’horreur sans la voir, tout cela résulte d’un travail minutieux. Les équipes du film ont mené des recherches pour que chaque bruit et chaque cri soit historique et véritable.

Cette atmosphère terrifiante se devait de correspondre à ce qu’entendait réellement les familles qui faisaient partie de « La Zone d’intérêt ».

La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer - Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2023

L’un des pires génocides de l’histoire

L’effroi réside dans notre prise de recul, car nous spectateur, savons très bien ce qui se passe de l’autre côté du mur : L’un des pires génocides de l’histoire.

Tout est interprété à travers ce que l’on voit et ce que l’on entend, puisque nous sommes conscients des faits. Alors que nous entendons l’arrivée des trains et le freinage sur les rails, parmi les rares éléments visuels, on liste quelques fumées visibles depuis le jardin, ainsi que des restes humains dans la rivière où se baignent les enfants.

De passage le temps d’un séjour, Elfriede, la grand-mère, se met à énormément tousser. Nous savons très bien pourquoi… Puis il y a cette scène où elle s’endort sur un transat dans le jardin, en fin d’après-midi après un barbecue en famille. Lorsqu’elle se réveille en s’étouffant, on perçoit au loin plusieurs volutes de vapeur…

La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer - Christian Friedel dans le rôle d'un SS avec une vie des plus ordinaires

Edwig, l’exemple idéale du Reich

Après son rôle dans « Anatomie d’une chute », c’est l’actrice Sandra Hüller qui se démarque particulièrement dans ce film. Elle y joue Edwig, l’épouse du commandant Rodolphe. Bien qu’elle ait longuement hésité avant d’accepter ce rôle, elle confirme son talent avec succès.

Incarnant l’image de la mère de famille exemplaire aux yeux du Reich, son interprétation est si parfaite qu’elle en devient effrayante. La comédienne atteste que ce rôle lui a demandé une certaine énergie tant sur le plan psychique que physique. Cela se ressent notamment dans son attitude très terrienne, semblable à celle d’une fermière, ainsi que dans son franc-parler froid et brut.

La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer - Sandra Hüller dans le rôle de la mère de famille idéal du Reich

Le cadre idyllique d’une famille ordinaire

Ce qui rend « La Zone d’Intérêt » remarquable, c’est sa capacité à présenter un cadre de vie des plus ordinaires, parfois même ennuyeux. Ainsi, le général Christian n’apparaît pas comme un criminel, mais plutôt comme un père de famille menant une vie bien ordonnée. C’est un travailleur actif, bénéficiant de tous les avantages que cela implique : promotions, salaire, et stabilité.

Ce film n’est rien d’autre qu’un miroir de nous-mêmes, avec des personnages parmi lesquels il est parfois possible de se reconnaître. Il en résulte une atmosphère sereinement glaçante, où ce qui pourrait nous sembler être un affreux cauchemar se révèle finalement avoir été le cadre presque idyllique d’une famille dans le déni de l’horreur…

La Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer - Lilli Falk & Anastazja Drobniak au cœur du foyer familial - Cinéphilion

Non, mais sérieusement ?

Chaque spectateur réagira à sa manière devant ce film déconcertant, mais il est probable qu’il y ait quelques rires nerveux. Cela traduit souvent un sentiment de perplexité, comme si l’on disait : « Non, mais sérieusement ? ». En effet, il y a un profond décalage entre notre connaissance historique des faits, et des discussions d’apparence banales au sein de la famille Höss.

Particulièrement cette séquence où, lors d’un repas dominical, le père annonce qu’il va être muté. Son épouse refuse de quitter « La Zone d’Intérêt ». Elle affirme être heureuse et avoir enfin trouvé tout le confort et la stabilité qu’elle désirait. C’est une dispute des plus classiques, mais franchement déconcertante au vu de ce qu’il si passe quelques mètres plus loin…

[Bande-annonce – La Zone d’Intérêt]

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