
4/5
Synopsis
Quelques mois après mai 68, Robert, normalien et militant d’extrême-gauche, décide de se faire embaucher chez Citroën en tant que travailleur à la chaîne. Comme d’autres de ses camarades, il veut s’infiltrer dans une usine pour raviver le feu révolutionnaire. Quand Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle, la direction exige des ouvriers qu’ils travaillent trois heures supplémentaires par semaine à titre gracieux. Robert et quelques autres entrevoient alors la possibilité d’un mouvement social.
Critique
Inspiré du roman « L’Etabli » paru en 1978, ce premier film de Mathias Gokalp est une adaptation bluffante qui ne laisse pas indifférent. Dans le ferveur de l’après Mai 68, cet état des lieux montre comment est-ce que les usines automobiles sont devenues le berceau d’une révolution silencieuse, mais terriblement nécessaire.

Robert Linart, un personnage détestable
Personnage éponyme, Robert Linhart est un personnage peu appréciable, presque détestable. Professeur de philosophie agrégé des plus grandes universités parisiennes, c’est par choix idéologique qu’il intègre les usines de fabrication de l’industrie du véhicule, dans l’espoir caché de créer une insurrection en interne.
Dans sa démarche, il y a la prétention d’être intellectuellement supérieur à ses collègues. Il les manipules, les orientes et s’enfonce dans la brèche dès que se présente une occasion d’alimenter les conflits hiérarchiques. A l’origine d’un mouvement de grève qu’il a su insuffler, il parvient malgré tout à se dédouaner de toutes responsabilités laissant les autres penser que l’idée vient d’eux.
Il est d’autant plus difficile de lui être empathique puisque, le concernant, le risque est moindre. Les ouvriers luttent corps et âmes pour obtenir une justice, quitte à perdre leur travail. Or, Robert possède un bagage professionnel et un confort de vie d’ores et déjà acquis. Contrairement aux autres, il sera rebondir quoi qu’il arrive.

Une prise de conscience criarde
Même si le combat émerge de façon mesquine, « L’Etabli » retranscrit brillamment l’atmosphère sensible d’une France imbibée dans l’ère post Mai 68. Les congés payés sont moins nombreux, certains n’ont même pas l’eau courante dans leur foyer, il y a une prise de conscience criarde des conditions de travail, et un besoin de liberté sociale manifeste.
Harcèlements psychologiques, pressions sociales, chantages, certains patrons avaient l’ascendant sur tout, qu’il s’agisse du logement, des revenus, et des contraintes du métier. Dans ces situations de conflits, Ils n’hésitaient pas à se servir du moindre prétexte pour appuyer leurs menaces et les mettre à exécution. Il est à noter que ce point de vue est un parti pris très subjectif car en ces temps, d’autres entreprises étaient le symbole de fierté, de réussite et de confort de vie.
Ces affrontements acharnés entre patrons et salariés ont permis d’acquérir un cadre de travail légiféré, des avantages sociaux et surtout, des droits. De notre œil contemporain, en cette période de tension sociale autour des retraites, comment imaginer que cela n’ait pas existé auparavant ?

Une position inconfortable
Film utile et nécessaire, « L’Etabli » dresse le constat d’une guerre insidieuse, presque étouffée, dans un contexte politique incroyablement retranscrit. Grâce à une objectivité quasi-documentaire dans la chronologie des faits, le réalisateur concrétise la prouesse rare d’imposer la neutralité, en évitant les partis pris.
Mais le récit laisse malgré tout le spectateur dans une position inconfortable. Bien qu’il soit embarrassant de cautionner les méthodes peu conventionnelle de Robert, nous sommes divisés car le niveau de labeur étant inimaginable de nos jours, on finit par difficilement accepter ses actions.

En plus d’être un film historique complet, « L’Etabli » soulève l’importance que représentait l’immigration de main d’œuvre. Fin des années 60, l’avènement des colonies et les conflits de l’Est constituent le marqueur d’une nouvelle ère démographique. Par leur racisme décomplexé, certaines scènes choquent, mais ce n’est que le calque soigné et percutant d’un entre-temps révolue.
A l’image du très réussi « Annie Colère » de Blandine Lenoir, « L’Etabli » est un rappel historique d’utilité publique sur l’acquisition de libertés durement obtenues. Se souvenir, et surtout, se rappeler, que ces ouvriers sont des hommes et des femmes de première ligne à l’origine de victorieux bénéfices sur le droit du travail.
[Bande-annonce – L’Etabli]
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