« Rien à perdre » de Delphine Deloget

Rien à Perdre de Delphine Deloget - Affiche Film Cinéphilion

4/5


Synopsis

Sylvie vit à Brest avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer, le temps de mener une enquête. Persuadée d’être victime d’une erreur judiciaire, Sylvie se lance dans un combat pour récupérer son fils.

Critique

Initialement issue du milieu documentaire, Delphine Deloget est une réalisatrice atypique pour le cinéma d’auteur. Dotée d’une œil social aiguisé, elle possède le talent subtil de saisir des instants banals de la vie quotidienne et d’en extraire une certaine poésie pour en faire une histoire.

Son premier long-métrage, « Rien à perdre », dépeint le récit houleux d’une famille en pleine implosion, où l’amour entre une mère et son fils résistera à toutes les tempêtes.

Rien à perdre de Delphine Deloget - Virginie Efira et Alexis Tonetti, une famille modeste remplie d'amour - Cinéphilion

Une réalité fictive façon documentaire

« Rien à perdre » aborde le thème délicat des services sociaux à l’enfance. Pourtant, la réalisatrice a fait le choix de ne pas orienter le film vers un engagement politique spécifique. Au lieu de cela, elle présente une réalité fictive à la manière d’un documentaire, où les personnages évoluent autour de ce sujet initial.

On note par ailleurs que les plans séquences sont constamment en mouvement et que la caméra n’est jamais fixe. Cette proximité façon reportage offre davantage de dynamisme et de véracité au contenu.

Rien à Perdre de Delphine Deloget - Virginie Efira - Cinéphilion

L’amour face à l’adversité

Le film met ainsi en scène des personnalités telles que Sylvie, mère monoparentale, qui tente avec une force considérable, de surmonter des défis auxquels ils sont brutalement confrontés. Notamment celui de ramener Sofiane chez lui, auprès de sa mère. L’objectif est d’observer comment chacun s’efforce de survivre et de lutter contre cette erreur judiciaire.

Ce sont les réactions des personnages, et leur façon de gérer chaque situation qui comptent avant tout. La colère, la maîtrise de soi, la tristesse et même la révolte. On pense notamment à cette convocation à laquelle Sylvie doit répondre de la part des éducateurs sociaux. Alors qu’elle garde un calme olympien, les éducateurs proposent de mettre son fils sous sédatifs, après une crise de colère.

Rien à perdre de Delphine Deloget - Virginie Efira alias Sylvie dans la scène des nattes avec son fils placé en foyer - Cinéphilion

Mention spéciale pour Félix Lefebvre

Le rôle de composition le plus complexe et saisissant est probablement celui de Jean-Jacques, interprété par Félix Lefebvre. Révélé dans « Eté 85 » en 2020, le jeune acteur incarne le fils aîné adolescent de la famille. Il a d’abord subi une transformation physique remarquable, au point de frôler l’obésité pour donner vie au personnage. En plus de cette métamorphose digne des plus grands acteurs, il a appris à jouer de la trompette et il s’est initié à la pâtisserie.

Le comédien confie qu’au fur et à mesure de son changement physique et de sa prise de poids, il est devenu tellement absorbé par son personnage qu’il en était presque schizophrénique, perdant un peu de lui-même.

« Rien à perdre » a puisé dans ses ressources les plus profondes et le résultat est admirable ! Ce rôle mérite une attention toute particulière, car Jean-Jacques est le pilier de la cellule familiale. Aîné d’une famille sans figure paternelle, il s’efforce constamment de trouver des solutions et de maintenir l’équilibre du foyer.

Rien à Perdre de Delphine Deloget - Félix Lefebvre, Alexis Tonetti & Virginie Efira - Mention spéciale pour Félix Lefebvre qui fait preuve d'un rôle composition sidérant - Cinéphilion

Les failles d’une institution vertueuse

« Rien à perdre » s’interroge sur les failles d’une institution qui se veut à l’origine vertueuse et prévoyante. Néanmoins, tout système reste un système et, malheureusement, l’administration oublie parfois certaines nuances qui mériteraient d’être abordées au cas par cas.

Des dispositifs sociaux sont mis en place, mais les procédures sont longues et parsemées de formalités interminables. Tout prend un temps considérable, et le film met en lumière un pays qui tente de s’en sortir, mais dont le mécanisme s’enlise sous une série de procédures excessivement complexes.

« Rien à perdre » illustre ainsi une terrible confrontation. D’un côté, il y a ce temps requis par les institutions pour effectuer les vérifications nécessaires, De l’autre, une mère et son fils réclament en urgence de retrouver sereinement leur chez-eux.

Rien à perdre de Delphine Deloget - Virginie Efira, mère monoparentale, travaille dans nuit laissant ses enfants à la maison - Cinéphilion

Le cercle infernal

Ce qui rend la situation d’autant plus tragique, c’est la perversité de ce système qui démontre à quel point il peut se transformer en un cercle vicieux infernal.

Les services sociaux retiennent l’enfant en foyer en invoquant une prétendue négligence éducative. L’enfant, désirant ardemment retrouver sa mère, manifeste des excès de colère que les éducateurs interprètent comme une perturbation psychologique inquiétante.

Par la suite, la mère, se sentant désemparée, sombre dans une dépression. Finalement, l’assistante sociale en charge du suivi décide de placer l’enfant en famille d’accueil, arguant que la santé mentale préoccupante de la mère ne permet pas son retour.

Rien à perdre de Delphine Deloget - Virginie Efira alias Sylvie dans les failles d'une institution qui se veut vertueuse autour des services sociaux à l'enfance - Cinéphilion

Pour son premier film, Delphine Deloget a su se distinguer grâce à de nombreuses caractéristiques brillantes. Tourné dans un style documentaire qui lui est propre, « Rien à perdre » rappelle subtilement les brillants films sociaux de Jeanne Herry (« je verrai toujours vos visages », « Pupille »).

Ce premier essai est d’une qualité remarquable et suscite un vif intérêt pour les prochaines productions de la réalisatrice.

[Bande-annonce – Rien à perdre]

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

CONTINUEZ VOTRE LECTURE…

« Un p’tit truc en plus » de Artus

« Un p’tit truc en plus » de Artus

4/5 Synopsis Pour échapper à la police, un fils et son père en cavale sont contraints de trouver refuge dans une colonie de vacances pour jeunes adultes en situation de handicap. Ils se font passer pour un pensionnaire et son éducateur spécialisé. Le début des...

« Border Line » de Juan Sebastián Vásquez & Alejandro Rojas

« Border Line » de Juan Sebastián Vásquez & Alejandro Rojas

5/5 ! Synopsis Projetant de démarrer une nouvelle vie aux États-Unis, Diego et Elena quittent Barcelone pour New-York. Mais à leur arrivée à l’aéroport, la Police des Frontières les interpelle pour les soumettre à un interrogatoire. D'abord anodines, les questions des...

« Borgo » de Stéphane Demoustier – Passion Corse

« Borgo » de Stéphane Demoustier – Passion Corse

4,5/5 Synopsis Melissa, 32 ans, surveillante pénitentiaire expérimentée, s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. L’occasion d’un nouveau départ. Elle intègre les équipes d'un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres. Ici, on dit que...